Groupe 2 - L'emprunteur indélicat

Modifié par Estelledurand

L'emprunt russe, 1894, obligation de 125 roubles or.

Extrait :

Un autre se voit poussé par le besoin à emprunter de l'argent. Il sait bien qu'il ne pourra pas le rendre, mais il voit bien aussi qu'on ne lui prêtera rien s'il ne s'engage ferme à s'acquitter à une époque déterminée. Il a envie de faire cette promesse ; mais il a aussi assez de conscience pour se demander : n'est-il pas défendu, n'est-il pas contraire au devoir de se tirer d'affaire par un tel moyen ? Supposé qu'il prenne cependant ce parti ; la maxime de l'action signifierait ceci : quand je crois être à court d'argent, j'en emprunte, et je promets de rendre, bien que je sache que je n'en ferai rien. Or il est fort possible que ce principe de l'amour de soi ou de l'utilité personnelle se concilie avec tout mon bien-être à venir ; mais pour l'instant la question est de savoir s'il est juste. Je convertis donc l'exigence de l'amour de soi en une loi universelle, et j'institue la question suivante : qu'arriverait-il si ma maxime devenait une loi universelle ? Or je vois là aussitôt qu'elle ne pourrait jamais valoir comme loi universelle de la nature et s'accorder avec elle-même, mais qu'elle devrait nécessairement se contredire. Car admettre comme une loi universelle que tout homme qui croit être dans le besoin puisse promettre ce qui lui vient à l'idée, avec l'intention de ne pas tenir sa promesse, ce serait même rendre impossible le fait de promettre avec le but qu'on peut se proposer par là, étant donné que personne ne croirait à ce qu'on lui promet, et que tout le monde rirait de pareilles démonstrations, comme de vaines feintes.

Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, tr. Delbos, Delagrave, Paris, 1989, p. 139-140.


Questions :

1. L'analyse de Kant reprend et approfondit ici l'examen de l'exemple de la fausse promesse, déjà abordé dans la première section de l'ouvrage (p. 103-104), et que vous avez déjà travaillé.

a) Quelle relation pouvez-vous établir entre amour de soi et emprunt d'une somme d'argent quand on en est à court ?

b) Quelle relation pouvez-vous établir entre la formulation d'une fausse promesse et la notion de nature à laquelle se réfère le procédé d'universalisation ? Pour répondre, tenez compte du fait qu'il s'agit, précise Kant, de "se tirer d'affaire".

2. Relevez dans le texte l'énoncé de la maxime dont l'universalisation est ici tentée.

a) Au nom de quel principe, censé la fonder, est-elle formulée, avec lequel l'amour de soi "se concilie" sans difficulté,  précise l'auteur ?

b) Quel est, par conséquent, le problème moral qu'il s'agit de résoudre et que recèle l'exemple ? Relevez-en la formulation dans le texte.

3. Par quel terme l'opération d'universalisation de la maxime est-elle désignée ici ?

4. Sur quel plan se situe-t-elle, par conséquent ? Pour répondre, tenez compte du fait que la maxime de l'action est énoncée et forme donc une proposition.

5. Quel est ici l'effet produit par la tentative d'universalisation opérée ?

a) Pourquoi y a-t-il une contradiction entre formulation d'une promesse et trahison de cette promesse ?

  • À quelles conditions une promesse est-elle possible ?
  • En quoi la trahison systématique de toute promesse, d'avance et par principe, en vertu d'une maxime, si on l'universalisait, détruirait-elle ses conditions de possibilité ?
  • Quelle en serait, d'après le texte, la conséquence ?

b) Pourquoi cette contradiction se ramène-t-elle, en dernière instance, à une contradiction de la nature avec elle-même ?

6. Cette contradiction relève-t-elle de l'ordre des conséquences de la conduite envisagée, ou bien est-elle intrinsèque à la maxime qui prétend justifier cette conduite ? Justifiez votre réponse.

7. En quoi l'emprunteur qui, dès lors, promettrait de rendre l'argent emprunté deviendrait-il  ridicule et serait-il la risée du monde entier ?


Réflexion :

1. Le procédé d'universalisation, appliqué ici, a-t-il pour fonction d'indiquer ce qu'il faut faire pour agir moralement, ou bien ce qu'il ne faut pas faire, de façon à éviter d'agir à l'encontre du devoir ?

2. Quels obstacles s'agit-il ici par conséquent de lever, ou quelles forces adverses s'agit-il de contrecarrer ?  

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
Télécharger le manuel : https://forge.apps.education.fr/drane-ile-de-france/les-manuels-libres/philosophie-terminale ou directement le fichier ZIP
Sous réserve des droits de propriété intellectuelle de tiers, les contenus de ce site sont proposés dans le cadre du droit Français sous licence CC BY-NC-SA 4.0